#4 - Le fossé USA-Europe qui coûte ta retraite (2/2)

L'écosystème américain : une machine parfaitement huilée
Dans notre dernière newsletter, je t'ai parlé des cinq premiers facteurs qui expliquent la domination boursière américaine :
- la flexibilité du marché du travail
- la culture de l'argent
- la force du dollar
- l'écosystème de financement privé
- le système de retraite qui alimente continuellement les marchés
Tu pensais que c'était déjà impressionnant ? Attends de découvrir le reste ! Aujourd'hui, je vais te dévoiler les autres facettes de cette machine à créer du profit.
Un contexte politique et réglementaire favorable aux entreprises
Maintenant, parlons d'un sujet qui peut sembler ennuyeux mais qui est absolument crucial : la réglementation.
Aux États-Unis, la réglementation suit généralement un principe simple : ce qui n'est pas interdit est autorisé. En Europe, c'est souvent l'inverse - si ce n'est pas explicitement autorisé, mieux vaut considérer que c'est interdit.
Cette différence fondamentale crée un environnement où :
- Les entreprises américaines peuvent expérimenter plus librement
- Les nouvelles technologies et business models peuvent émerger plus rapidement
- Les entreprises subissent moins de frictions administratives
Le principe américain, c'est : "Lance ton produit d'abord, on discutera des règles ensuite." En Europe ? C'est souvent : "Attends qu'on ait établi le cadre réglementaire avant de lancer quoi que ce soit."
De plus, la stabilité politique américaine rassure les investisseurs. Même quand les démocrates sont au pouvoir, ils ne remettent généralement pas en cause la structure fondamentale du capitalisme américain. Les impôts peuvent augmenter un peu, certaines industries peuvent être davantage régulées, mais les bases restent intactes. Cette prévisibilité est en or pour les investisseurs.
Prends Uber comme exemple : aux USA, ils ont pu se développer très rapidement car il n'y avait pas de réglementation spécifique pour leur modèle. En Europe, ils ont dû se battre pays par pays contre des réglementations souvent hostiles.
Des politiciens "skin in the game"
Une différence frappante entre les USA et l'Europe ? L'argent des politiciens. Aux États-Unis, la plupart des élus ont des portefeuilles d'actions conséquents. Selon une étude de 2022, plus de la moitié des membres du Congrès américain possèdent des actions, avec une valeur médiane de plusieurs centaines de milliers de dollars.
Résultat : quand ils votent des lois, ils pensent aussi à leur propre patrimoine ! En France, nos politiques sont plutôt branchés immobilier et terres agricoles. C'est ce qu'on appelle "avoir notre peau en jeu" (skin in the game).
Concrètement, ça signifie quoi ? Imagine que tu sois un sénateur américain avec 500 000 dollars investis en bourse. Vas-tu voter une loi qui pourrait faire chuter la bourse de 20% ? Probablement pas sans y réfléchir à deux fois !
Lors d'une conférence, un ancien conseiller du Congrès expliquait : "Quand on débat d'une nouvelle taxe sur les transactions financières, les élus ne pensent pas seulement à l'impact sur l'économie, mais aussi à l'impact sur leur propre portefeuille."
Cette réalité crée une situation où les décideurs américains ont personnellement intérêt à ce que la bourse se porte bien. Quand tu possèdes toi-même des actions Tesla ou Apple, tu regardes les marchés financiers d'un œil très différent.
Imagine l'impact sur les décisions politiques, les régulations, et l'attitude générale envers l'entreprise et l'investissement. Le Congrès américain devient presque une assemblée d'actionnaires !
Et ce n'est pas seulement une question d'intérêt personnel. C'est aussi une question de culture et de compréhension. Un politique qui a déjà investi comprend mieux les enjeux des marchés financiers qu'un politique qui n'a jamais acheté une action de sa vie.
Un marché domestique gigantesque et unifié
N'oublions pas l'atout massif qu'est le marché domestique américain ~330 millions de consommateurs avec un pouvoir d'achat parmi les plus élevés au monde, tous parlant la même langue, utilisant la même monnaie, et soumis au même cadre juridique général.
Quand une startup américaine lance un produit, elle a immédiatement accès à ce gigantesque marché unifié. En Europe, c'est 27 pays, 24 langues officielles, et autant de régulations différentes.
Pour te donner une image concrète : imagine que tu veuilles lancer une application de livraison de repas. Aux USA, un seul App Store, une seule langue d'interface, un seul système de paiement. En Europe ? Il te faut traduire en allemand, italien, espagnol... adapter ton marketing pour chaque culture, naviguer entre différentes règles bancaires, fiscales et sanitaires.
Une startup française qui voudrait s'étendre en Europe devrait créer des dizaines d'entités juridiques différentes, avec des comptables différents, des avocats différents... Aux USA, ils auraient pu couvrir un marché plus grand avec une seule entité !
Cet avantage permet aux entreprises américaines d'atteindre rapidement une taille critique avant même de s'internationaliser. Quand elles arrivent en Europe, elles sont déjà des géants. C'est comme partir une course de marathon avec 10 kilomètres d'avance sur tes concurrents européens.
La Chine possède un avantage similaire avec son gigantesque marché domestique, ce qui explique en partie pourquoi elle est le seul pays à pouvoir rivaliser avec les USA dans certains secteurs technologiques.
Mais contrairement à la Chine, les USA combinent ce marché gigantesque avec tous les autres avantages dont on a parlé : capital-risque, culture entrepreneuriale, facilité de financement... C'est cette combinaison qui rend l'écosystème américain si puissant.
De plus, ce marché domestique est aussi un énorme terrain d'expérimentation. Si ton produit marche à New York, à Los Angeles et à Chicago, tu as déjà une bonne idée de ce qui pourrait fonctionner à Londres, Paris ou Tokyo.
Le droit de propriété quasi-sacré
Aux États-Unis, le droit de propriété est presque considéré comme sacré, bien plus qu'en Europe. La Constitution américaine protège explicitement les droits de propriété, et cette protection s'étend naturellement aux actifs financiers.
Les investisseurs - qu'ils soient américains ou étrangers - savent que leurs investissements sont protégés contre les expropriations arbitraires ou les changements radicaux de politique. Cette sécurité attire les capitaux du monde entier.
Exemple concret : lors de la crise financière de 2008, même au plus fort de la tourmente, personne ne craignait réellement que le gouvernement américain nationalise massivement les banques ou confisque les actifs des investisseurs. C'est un niveau de confiance que peu de marchés peuvent inspirer.
Cette protection crée un cercle vertueux : plus les droits des investisseurs sont protégés, plus ils sont enclins à investir, plus le marché devient liquide et profond, plus il attire d'autres investisseurs...
C'est pourquoi même des investisseurs russes, chinois ou saoudiens - issus de pays parfois en tension géopolitique avec les USA - continuent d'investir massivement sur les marchés américains. Ils savent que leurs droits de propriété y seront respectés, quoi qu'il arrive.
Des champions inégalés dans les secteurs porteurs
Tu as probablement remarqué que les plus grandes entreprises mondiales sont souvent américaines, particulièrement dans la tech.
Ce n'est pas un hasard. Les USA ont développé un écosystème unique qui leur permet de dominer les secteurs les plus dynamiques :
- Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont toutes américaines
- Les plus grandes entreprises de semiconducteurs également (NVIDIA, Intel, AMD)
- Même dans les biotechs, les USA dominent largement avec des géants comme Pfizer, Moderna ou Amgen
Et ces entreprises ont souvent moins de 50 ans, contrairement à beaucoup de champions européens qui sont des dinosaures centenaires. Pense à LVMH, L'Oréal, Siemens... Excellentes entreprises, certes, mais dans des secteurs traditionnels.
Cette concentration dans les secteurs de croissance explique une grande partie de la surperformance américaine. Si tu avais investi il y a 20 ans dans les 10 plus grandes entreprises européennes versus les 10 plus grandes entreprises américaines, la différence de performance serait encore plus spectaculaire que celle des indices globaux !
Un consultant qui a visité le siège de Google puis celui d'une grande entreprise française la même semaine décrivait le contraste saisissant : chez Google, on parlait d'intelligence artificielle, de conquérir de nouveaux marchés, de technologies qui n'existent pas encore. Chez le groupe français, on parlait d'optimisation des coûts et de protection des parts de marché existantes. Deux visions radicalement différentes !
En plus, ces entreprises américaines communiquent principalement en anglais, ce qui leur permet d'attirer des investisseurs du monde entier. Leurs conférences de résultats sont retransmises en direct, leurs rapports annuels sont extrêmement détaillés, et leurs dirigeants sont accessibles aux analystes.
Quand tu es un investisseur international, tu préfères lire les rapports d'Apple (en anglais) ou ceux d'une entreprise française (peut-être disponibles uniquement en français) ? L'accessibilité de l'information joue un rôle crucial dans l'attractivité d'un marché.
Une publication de résultats transparente et accessible
Parlons un peu plus en détail de ce point, car il est souvent sous-estimé : la transparence et l'accessibilité des informations financières aux USA sont incomparables.
Les entreprises américaines cotées doivent publier des rapports trimestriels extrêmement détaillés (les fameux "earnings"). Ces rapports sont standardisés, facilement accessibles, et généralement accompagnés de conférences téléphoniques où les dirigeants répondent aux questions des analystes.
En Europe, la fréquence et la qualité de ces publications sont souvent moindres. Certaines entreprises ne publient que des résultats semestriels, et le niveau de détail est parfois bien inférieur.
Un analyste français expliquait récemment dans une interview : "Quand j'appelle l'investor relations d'une entreprise du CAC 40, j'attends parfois une semaine pour une réponse. Chez les entreprises du S&P 500, j'ai généralement une réponse dans la journée."
Cette transparence et cette accessibilité attirent les investisseurs internationaux, qui préfèrent naturellement les marchés où l'information est abondante et fiable. Plus il y a d'investisseurs, plus il y a de liquidité, plus le marché est efficient... encore un cercle vertueux !
De plus, les entreprises américaines ont souvent des équipes dédiées aux relations avec les investisseurs, beaucoup plus professionnelles et réactives que leurs homologues européennes. C'est un autre signe de l'importance qu'elles accordent à leur cours de bourse.
L'écosystème parfait pour la création de valeur
Pour résumer, le marché boursier américain domine parce qu'il bénéficie d'un écosystème complet qui favorise la création et la croissance des entreprises :
- Un marché du travail flexible qui permet aux entreprises de s'adapter rapidement
- Une culture qui valorise l'entrepreneuriat et l'argent, créant un environnement favorable à la prise de risque
- Une monnaie forte qui domine les échanges internationaux et attire les capitaux du monde entier
- Un système de financement privé mature qui alimente les entreprises à chaque étape de leur développement
- Un flux constant de capital via les fonds de pension, qui agit comme une pompe à liquidités pour le marché
- Un cadre réglementaire favorable à l'innovation, où ce qui n'est pas interdit est autorisé
- Des politiciens personnellement investis en bourse, ce qui influence positivement les politiques économiques
- Un marché domestique gigantesque et unifié qui permet aux entreprises d'atteindre rapidement une taille critique
- Le droit de propriété quasi-sacré, qui protège les investissements et favorise l'accumulation de capital
- Une communication financière accessible et en anglais, qui attire les investisseurs du monde entier
Ces avantages structurels sont profondément ancrés dans l'écosystème américain et expliquent pourquoi le marché boursier US a surperformé le reste du monde sur les dernières décennies.
La plupart de ces avantages sont durables et difficiles à répliquer à court terme par d'autres pays. Ils sont le fruit d'une histoire, d'une culture et d'institutions qui se sont développées sur plus de deux siècles.
Pour aller plus loin : les questions que tu te poses peut-être
Alors, est-ce que cette domination va continuer ?
C'est LA question à un million de dollars, n'est-ce pas ? Si j'avais une boule de cristal, je serais probablement sur mon yacht plutôt qu'en train d'écrire cette newsletter ! Mais voici mon analyse :
À court et moyen terme, il est difficile d'imaginer une inversion de tendance. Les avantages structurels américains sont tellement profonds qu'ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain.
À plus long terme, on peut identifier quelques challengers potentiels :
- La Chine : Elle a le marché domestique, l'appétit pour la croissance, et de plus en plus l'écosystème d'innovation. Mais elle manque encore de la transparence financière et de la protection du droit de propriété nécessaires pour vraiment rivaliser.
- L'Inde : Un autre marché géant avec une culture entrepreneuriale forte et une population jeune. Mais ses infrastructures financières et son écosystème d'innovation ont encore des décennies de retard.
- L'Europe unifiée : Si l'UE parvenait à vraiment créer un marché unifié, avec une politique commune et moins de barrières internes, elle pourrait commencer à rivaliser. Mais on en est encore loin.
Pour l'instant, le train américain est lancé à pleine vitesse sur des rails bien entretenus, tandis que les autres sont encore en construction.
Tu vois maintenant pourquoi la surperformance boursière américaine n'est pas un accident, mais le résultat logique d'un système conçu pour favoriser la création de valeur et la croissance des entreprises.
À la prochaine pour une nouvelle newsletter !